Cet ouvrage collectif propose une analyse
détaillée de lévolution de
la distribution des revenus en Chine entre 1988 et 1995,
à laide de deux enquêtes nationales
auprès de ménages ruraux dune part
et urbains dautre part. Létude proposée
peut être lue comme un complément aux deux
ouvrages publiés par Griffin et Zhao (1993) et
Khan et Riskin (2001), qui présentent les résultats
de lenquête de 1988 pour le premier et de
1995 pour le second. Lobjectif de ce troisième
volume est de donner des éléments dexplication
à lévolution observée de la
distribution des revenus entre ces deux dates, en privilégiant
une explication en termes de réformes de marché.
Louvrage combine des analyses
qualitatives à un ensemble très complet
danalyses quantitatives, basées sur des données
collectées sur les revenus des ménages en
1988 et 1995. Les différents chapitres offrent
une vision exhaustive des mécanismes qui sous-tendent
lévolution du profil de la distribution des
revenus au cours de la première moitié des
années 1990, période marquée par
une situation macro-économique instable qui a néanmoins
permis un quasi-doublement du PIB réel au cours
des sept années qui séparent les deux enquêtes.
La première partie de louvrage
souligne lévolution rapide et importante
des inégalités de revenus en Chine entre
1988 et 1995 (+20% pour le Gini calculé sur le
revenu par adulte équivalent), qui recoupe une
augmentation marquée des inégalités
de revenus à la fois ruraux et urbains (de respectivement
30% et 21%). En revanche, si linégalité
globale en Chine reste dominée par le fort écart
de revenu rural-urbain, la contribution de celui-ci a
eu tendance à décroître entre 1988
et 1995 du fait de la forte augmentation de linégalité
au sein des zones urbaines, et surtout rurales.
Quels que soient les indicateurs retenus
pour mesurer le revenu et sa distribution, laccroissement
des inégalités en Chine au cours de la période
de réformes est indéniable. La question
de lévolution de la distribution des revenus
constitue aujourdhui un enjeu important par ses
conséquences négatives potentiellement importantes
en matière de bien-être social et de soutenabilité
du processus de croissance. Toutefois, lune des
contributions de louvrage (étayée
notamment dans le chapitre 2) est de nuancer lampleur
de cet accroissement qui, à première vue,
peut paraître spectaculaire au regard de la répartition
des revenus relativement égalitaire prévalant
à la fin de la période maoïste. En
effet, Zhao Renwei souligne limportance, avant le
lancement des réformes, des avantages en nature
dans le revenu, notamment pour la population urbaine,
qui rendaient la distribution des revenus monétaires
artificiellement équitable. Par ailleurs, le gel
des salaires qui constituaient lessentiel
des revenus imposé pendant une vingtaine
dannées, a introduit des distorsions intergénérationnelles
au sein des zones urbaines. Ainsi, sans nier laccroissement
rapide des inégalités en Chine qui a accompagné
la mise en place des réformes, les analyses rétrospectives
proposées dans louvrage viennent nuancer
le pessimisme des conclusions en matière dexplosion
des inégalités. Dans cette perspective,
les différents chapitres suggèrent une interprétation
complémentaire, dans la mesure où ladoption
des mécanismes de léconomie de marché
a conduit à des ajustements nécessaires
par rapport à une situation où labsence
de marchés, notamment du travail, et la domination
du plan sur les activités économiques déterminaient
le profil de distribution des revenus de manière
arbitraire. Ainsi, une partie au moins de laugmentation
observée semble pouvoir être attribuée
à un phénomène de « rattrapage »
dû à la transformation progressive de léconomie
chinoise en économie guidée par les forces
de marché.
Les mécanismes qui ont conduit
à cette augmentation de linégalité
en Chine sont complexes : il convient dabord
de distinguer la Chine rurale de la Chine urbaine (cest
lobjet des parties 2 et 3), où la formation
des revenus provient de sources très différentes,
et où les réformes économiques ont
eu un impact différencié sur lévolution
de la distribution des revenus (au sein de ces deux catégories
comme entre elles). A cette distinction rural/urbain sajoute
une distinction régionale entre Chine côtière
et Chine intérieure. Enfin, à lintérieur
de ces catégories, il faut distinguer également
ce qui dans lévolution de la distribution
des revenus provient dune part, des sources de revenus
(poids grandissant des salaires dans les revenus ruraux
par exemple) et dautre part, des rendements des
caractéristiques des individus (rôle de léducation
notamment dans lexplication des différences
régionales pour les revenus urbains). Cette distinction
a son intérêt en matière de politique
économique dans la mesure où le problème
daccès aux caractéristiques qui permettent
daugmenter les revenus se pose souvent de manière
aiguë pour les populations les plus défavorisées.
Cest notamment le cas pour léducation,
à laquelle les auteurs montrent que les minorités
ethniques (chapitre 3) et les migrants pauvres (chapitre
13) ont peu accès.
Louvrage consacre également
un chapitre à létude de la pauvreté
rurale. Contrairement aux chiffres officiels, Carl Riskin
et Li Shi montrent que le taux de pauvreté en Chine
rurale est demeuré constant entre 1988 et 1995,
ce qui signifie que le nombre absolu de pauvres a augmenté.
Ils montrent également que la moitié des
pauvres vivent en dehors des zones officiellement désignées
comme telles et que la représentation des minorités
nationales parmi les pauvres vivant en dehors de ces zones
sest accrue significativement entre 1988 et 1995.
A lheure où le nouveau gouvernement chinois
affiche clairement la réduction de la pauvreté
et lamélioration des conditions de vie des
ruraux comme des objectifs prioritaires, les questions
traitées avec beaucoup de rigueur dans la troisième
partie de louvrage sur la pauvreté, la nutrition,
les migrations et la distribution des terres en Chine
rurale paraissent tout particulièrement dactualité.
Si lanalyse proposée ouvre
de nombreuses pistes intéressantes, on peut néanmoins
regretter labsence de dépassement du cadre
purement descriptif quoffrent les méthodes
traditionnelles de décomposition de linégalité.
Le recours à des techniques complémentaires
plus récentes, comme les méthodes de décompositions
par micro-simulation, qui intègrent explicitement
une modélisation du marché du travail, aurait
pu permettre de mieux mettre en lumière les modifications
profondes du marché du travail sur la distribution
des revenus. Dans ce cadre, lévolution de
lemploi et du chômage, et lélargissement
des choix occupationnels (par le développement
des entreprises de bourgs et de cantons et du secteur
privé notamment) sont certainement des facteurs
clés de lévolution de la distribution
des revenus.
Ces quelques remarques nenlèvent
rien à la qualité de louvrage. Lanalyse,
complète et documentée, de lévolution
des inégalités au début des années
1990 présente un intérêt évident
dun point de vue à la fois scientifique et
de politique économique. Il sagit dailleurs
certainement dune première étape dans
létude de lévolution de la distribution
des revenus au cours du processus de réformes et
de développement ; lexploitation actuelle
dune troisième enquête (1999) devrait
permettre de donner une vision plus complète de
lévolution des inégalités sur
lensemble de la décennie 1990.